​Sénégal 2026 : Le civisme fiscal, un impératif national face à l’héritage financier et l’appel du Pétrole & Gaz ( Par Dr. Seydina Oumar Seye) 

  Le projet de loi de finances (PLF) 2026, d’un montant de 7 433 milliards FCFA, a suscité des débats passionnés, souvent focalisés sur son caractère austère et les nouvelles charges fiscales qu’il introduit. Pour en saisir toute la portée, il est impératif de dépasser la simple lecture comptable et de le replacer dans son contexte global : un Sénégal confronté à un héritage financier lourd, caractérisé par une mauvaise gestion des deniers publics sous les régimes précédents, mais aussi porteur d’un immense potentiel avec l’avènement imminent de l’ère pétrolière et gazière. Dans cette équation complexe, l’adhésion des populations et des agents économiques à l’effort de redressement national n’est pas une option, mais une condition sine qua non de la réussite. Le gouvernement gagnerait à déployer des stratégies d’adhésion à cet effet.. Le contexte : un héritage lourd et un impératif de transparence. La révélation de ce que le gouvernement actuel qualifie de « dette cachée et/ou de déclarations erronées » a agi comme un électrochoc. Au-delà des débats sémantiques, une réalité s’impose : les finances publiques ont été durablement fragilisées par des engagements opaques, conduisant à un ratio d’endettement public dépassant largement les seuils communautaires et proche de 119% du PIB. Cette situation a entraîné une dégradation de la notation souveraine, renchérissant le coût de la dette et limitant l’accès aux marchés financiers.. Face à ce constat, l’appel à un sursaut national et à un civisme fiscal accru est plus que justifié. Il ne s’agit pas seulement de combler un déficit hérité, mais de restaurer la crédibilité de l’État et de reprendre en main la souveraineté financière du pays. Cet effort doit être collectif, mais il doit être inauguré par un signal fort des tenants du pouvoir. La promesse de transparence absolue dans la gestion du budget 2026, notamment via la publication détaillée des contrats et l’audit systématique des grands projets, est un premier pas essentiel pour reconstruire la confiance et légitimer l’appel au sacrifice.. L’adhésion des populations et des agents économiques: une nécessité stratégique. L’adhésion n’est pas une simple question de consentement à l’impôt ; c’est une stratégie économique. Dans un pays où le secteur informel représente une part significative de l’activité, une large base contributive est cruciale pour élargir l’assiette fiscale sans étrangler les contribuables existants.. · Le Cas d’École de la Taxation du Mobile Money : La mesure visant à générer 76 milliards FCFA de recettes via la taxation des transactions de mobile money est emblématique. Si elle est perçue comme punitive, elle risque de freiner l’inclusion financière et de peser sur le pouvoir d’achat des plus modestes. En revanche, si elle est accompagnée d’une communication pédagogique expliquant que ces fonds sont destinés à financer des infrastructures de santé, d’éducation ou d’électrification rurale, elle peut être comprise comme une contribution à un projet de société commun. L’État doit démontrer, par des réalisations visibles, que l’impôt n’est pas une ponction, mais un investissement dans le bien-être collectif.. · Le Bénéfice de la Régularisation Foncière : L’objectif de 100 milliards FCFA via ce biais est un autre exemple. En offrant une voie légale pour régulariser des situations souvent informelles, l’État ne lève pas seulement des recettes ; il sécurise le droit de propriété, stimule l’investissement immobilier et intègre des milliers de citoyens dans l’économie formelle. C’est une mesure où le contribuable perçoit un bénéfice direct en échange de sa contribution.. Benchmarking et cas d’École internationaux : les leçons de la discipline fiscale. L’histoire économique récente offre plusieurs exemples où un effort fiscal collectif, bien géré, a permis un redressement spectaculaire.. · Le Modèle Rwandais : Après le génocide, le Rwanda a dû reconstruire son État et son économie quasiment ex nihilo. Le gouvernement a mis un accent fanatique sur la mobilisation des recettes internes, en combinant une administration fiscale moderne et efficace, une lutte impitoyable contre la corruption et une communication transparente sur l’affectation des fonds publics. Le taux de pression fiscale a considérablement augmenté, mais cette augmentation a été acceptée car elle était corrélée à une amélioration tangible des services publics et de la sécurité. Le Sénégal pourrait s’inspirer de cette approche où la rigueur budgétaire va de pair avec la redevabilité.. · Le Cas du Ghana et la Malédiction des Ressources : À l’inverse, le Ghana, après la découverte de pétrole, a connu une envolée de ses dépenses publiques, creusant son déficit et sa dette. Cette situation a contraint le pays à se tourner vers le FMI pour un plan de sauvetage, synonyme d’austérité subie. La leçon pour le Sénégal est cruciale : les futures recettes pétrolières et gazières ne doivent pas servir à financer des dépenses courantes inconsidérées, mais doivent être canalisées, via un fonds souverain transparent, vers des investissements productifs (infrastructures, éducation, santé) qui diversifieront l’économie et la rendront résiliente pour l’après-pétrole. L’effort fiscal actuel est le prix à payer pour éviter la « malédiction des ressources » et construire les fondations d’une prospérité durable.. Analyse fine de la fiscalité « à outrance » : la portée et les défis du prélèvement de 1%. La mesure phare, et l’une des plus débattues, est le prélèvement de 1% sur le chiffre d’affaires de certaines grandes entreprises et structures. Une analyse fine s’impose.. · Pertinence et Enjeux : Dans un contexte d’urgence des recettes, cette mesure a le mérite de la simplicité et d’une application rapide. Elle vise à capter une partie de la valeur créée par les acteurs économiques les plus solides, estimant qu’ils ont une responsabilité particulière dans l’effort national de redressement. C’est un outil de solidarité économique en période de crise.. · Portée et Défis :. · Atteinte des Objectifs de Recettes : Son efficacité dépendra de la capacité de l’administration fiscale à en assurer une application large et équitable, en évitant les contournements.. · Impact sur la Compétitivité : Le principal défi est son impact potentiel sur la trésorerie des entreprises, notamment celles à faibles marges. Une charge supplémentaire pourrait freiner l’investissement privé, l’emploi et la croissance, contredisant l’objectif de redressement. Une modulation en fonction des secteurs ou des niveaux de profitabilité pourrait être nécessaire pour préserver le tissu productif.. · Effet sur les Prix : Il existe un risque que les entreprises répercutent cette taxe sur les prix de vente, alimentant ainsi l’inflation et annulant partiellement l’effet positif sur le pouvoir d’achat. Une vigilance accrue des autorités de la concurrence est requise.. La projection vers 2026 : un Budget de transition vers l’ère pétrolière. Le budget 2026 ne doit pas être vu comme une fin en soi, mais comme un pont douloureux mais nécessaire vers un avenir meilleur. Le potentiel de croissance du PIB, boosté par l’exploitation du pétrole et du gaz à partir de 2025-2026, offre une perspective de respiration.. L’objectif est clair : assainir les finances publiques avant que les recettes pétrolières n’arrivent massivement. Cela permet de :. 1. Restaurer la marge de manœuvre de l’État et éviter que les nouvelles richesses ne soient immédiatement absorbées par le service d’une dette insoutenable.. 2. Négocier en position de force avec les institutions financières et les marchés, réduisant ainsi le coût du capital pour les futurs investissements.. 3. Créer un environnement macroéconomique stable, condition indispensable pour attirer les investissements privés qui accompagneront le secteur énergétique et permettront une transformation structurelle de l’économie.. En conclusion : le Civisme Fiscal, pilier de la souveraineté économique. Le PLF 2026 est incontestablement un budget de rupture et de courage. Il place le Sénégal face à ses responsabilités. L’héritage financier difficile n’est pas une fatalité, mais un défi à surmonter. Le potentiel pétrolier et gazier n’est pas une planche de salut immédiate, mais une récompense à mériter par une gestion rigoureuse aujourd’hui.. L’adhésion des populations et des agents économiques à cet effort fiscal est le ciment de cette stratégie. Elle ne sera obtenue que par une transparence irréprochable, une communication pédagogique constante et une démonstration tangible que chaque franc CFA collecté est investi dans l’intérêt général. C’est à ce prix que le Sénégal pourra transformer l’épreuve actuelle en une opportunité historique de construire une économie résiliente, diversifiée et inclusive, capable de faire bénéficier toutes ses filles et tous ses fils des fruits de sa future prospérité énergétique. Le civisme fiscal n’est plus une vertu, mais un impératif de survie économique et un acte de foi dans l’avenir du pays.. Dr. Seydina Oumar Seye. 

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